RESULTATS ET DISCUSSION
La température de surface de la mer mesurée à notre lieu de pêche (21° 13′ 50″ N, 86° 37′ 40″ W) était de 26,6±0,7°C. La température corporelle à l’endroit du stimulus était la suivante : voilier : 26,8±1,1°C ; barracuda : 27,6±0,5°C ; petit thon : 28,9±0,8°C ; et daurade : 27,5±0,6°C (ANOVA à sens unique : d.f.=3, F=10,001, P<0,001). Seul le thon rouge différait significativement des autres espèces (test post hoc de Tukey ; P<0,05). En comparant les temps de contraction minimum du muscle le long de la longueur du poisson, nous avons observé une augmentation générale du temps de contraction de la tête à la queue (Fig. 1A). Les temps de contraction minimum à la position 45% (Lf) étaient : voilier, 68,5±7,2 ms ; barracuda, 47,0±10,8 ms ; thon rouge, 48,3±2,8 ms ; et dorade, 56,7±10,3 ms (Fig. 1B). Ces fréquences correspondent aux fréquences de battement de queue suivantes : voilier, 7,4±0,8 Hz ; barracuda, 11,1±2,1 Hz ; thon rouge, 10,4±0,6 Hz ; et daurade, 9,1±1,5 Hz. Les évaluations résultantes des vitesses de nage maximales en utilisant les temps de contraction de la position 45% Lf en m s-1 (et en Lf s-1) sont : voilier, 8.3±1.4 m s-1 (5.6±0.6 Lf s-1) ; barracuda, 6.2±1,0 m s-1 (7,0±1,3 Lf s-1) ; thonine, 5,6±0,2 m s-1 (7,3±0,4 Lf s-1) ; et dorade, 4,0±0,9 m s-1 (5,4±1,0 Lf s-1) (ANOVA à sens unique : d.f.=3, F=5,371, P=0,008) (Figs 2A, 3). Les voiliers avaient des vitesses de nage maximales (m s-1) significativement plus élevées que les autres espèces (test post hoc de Tukey, P<0,05) ; cependant, lorsque l’on considère la performance corrigée de la taille (c’est-à-dire les résidus), les voiliers avaient les valeurs les plus basses (Fig. 2C,D ; ANOVA à sens unique : d.f.=3, F=5.120, P=0,01). Les seules comparaisons post hoc significatives étaient celles entre le voilier et le thon rouge (P=0.009), et entre le voilier et le barracuda (P=0.028). En utilisant les temps de contraction les plus rapides, indépendamment de la position sur le corps, des mesures plus élevées pour la vitesse de nage maximale peuvent être calculées , en moyenne 1,25 fois plus rapide.
Temps de contraction en fonction de la longueur chez quatre grands prédateurs marins. (A) Les temps moyens de contraction minimale du muscle (±s.e.m.) le long du corps de 4 espèces différentes de poissons (voilier n=4, barracuda n=5, petit thon n=5, dorade n=7). L’axe des x représente le pourcentage de la longueur totale ; notez que le barracuda n’a que 4 emplacements de stimulation en raison de sa tête relativement grande. (B) Le temps de contraction moyen à 45% Lf (axe des y) en fonction de la longueur de la fourche (axe des x) pour tous les poissons. Les zones ombrées représentent les temps de contraction correspondant à 5, 15 et 35 ms respectivement. Les limites supérieures de ces zones (lignes brisées) correspondent à une longueur de foulée de 1 Lf alors que les limites inférieures des zones représentent une longueur de foulée de 0,5 Lf. Cette plage (0,5-1 Lf) est typique chez les téléostéens nageurs (Videler, 1993).
Les performances de nage estimées chez quatre espèces de grands prédateurs marins. (A,B) Les vitesses de nage maximales atteignables calculées pour les quatre espèces exprimées en m s-1 (A) et en Lf s-1 (B). Les courbes brisées représentent la limitation de puissance calculée à partir de Iosilevskii et Weihs (2008) (150W kg-1) et les courbes pleines représentent une estimation de la vitesse de nage maximale causée par la limite de cavitation à faible profondeur avec un facteur de condition correspondant à celui de la bonite (Jin et al., 2015). La courbe pleine (en A) correspond à l’équation de la vitesse de nage maximale (en m s-1) donnée par Videler (1993) (U=0,4+7,4 Lf). (C) Résidus en fonction de Lf. (D) Résidus pour chaque espèce, moyenne (±s.e.m.).
Vitesses de nage maximales (moyenne±s.d.) chez quatre grands prédateurs marins. En comparant la vitesse de nage absolue de l’espadon voilier à celle de trois autres grands prédateurs marins, l’espadon voilier semble être le plus rapide. Cependant, lorsque la taille est corrigée, le barracuda et le thon rouge sont les plus performants. (Pour la comparaison corrigée en fonction de la longueur, voir la figure 2D et le texte.)
Nos données suggèrent que les voiliers ne sont pas capables d’atteindre les vitesses extrêmement élevées revendiquées par des études antérieures (Barsukov, 1960 ; Lane, 1941). Ces évaluations de vitesse (environ 35 m s-1) sont basées sur les enregistrements de spécimens accrochés par les pêcheurs et sont très probablement des surestimations. Nos estimations des vitesses maximales des voiliers (8,3±1,4 m s-1) sont légèrement supérieures à celles observées lors des interactions prédateur-proie, c’est-à-dire en moyenne 7 m s-1 (Marras et al., 2015). Ceci est attendu car ces estimations sont basées sur des muscles non chargés, c’est-à-dire que les poissons sont sortis de l’eau et ne tiennent pas compte des effets supplémentaires de la traînée. Nos estimations fournissent des maxima théoriques ; dans l’eau, les muscles des poissons sont chargés et des vitesses plus faibles sont donc plus probables. Ainsi, une hypothèse importante à noter lors de l’utilisation de cette méthode est que le temps de contraction minimum est considéré comme indépendant de la charge. Même en tenant compte de cette hypothèse, nos estimations sont encore beaucoup plus basses que les estimations élevées précédentes. Nos estimations de la vitesse de nage maximale du petit thon (5,6±0,2 m s-1 à une température corporelle d’environ 29°C) correspondent aux valeurs précédemment rapportées de 6-8 m s-1 estimées à l’aide d’une méthode similaire (Brill et Dizon, 1979) et d’enregistrements vidéo (vitesse maximale de 6,9 m s-1) (Yuen, 1966) sur une espèce similaire, Katsowonus pelamis. Un thon plus grand que celui que nous avons mesuré (c’est-à-dire 0,77 m), sera capable de vitesses plus élevées. Des estimations utilisant une méthode similaire de temps de contraction musculaire ont trouvé une vitesse maximale de 15 m s-1 chez Thunnus thynnus (Wardle et al., 1989), ce qui est inférieur à la vitesse estimée à partir de la canne et du moulinet chez une autre espèce de thon (i.e. 20,7 m s-1 chez Thunnus albacares) (Walters et Fierstine, 1964). Pour le barracuda, les valeurs mesurées précédemment pour les vitesses de nage en rafale d’environ 12 m s-1 (Gero, 1952), bien qu’elles ne soient pas aussi excessives que celles des istiophoridés (Barsukov, 1960 ; Lane, 1941), peuvent également être légèrement surestimées puisqu’elles sont environ deux fois supérieures aux valeurs établies ici (6,2±1,0 m s-1).
Bien qu’il soit probable que les premiers travaux aient surestimé les vitesses de nage, des vitesses supérieures à celles prédites sur la base des méthodes de contraction du twitch pourraient théoriquement être possibles si les poissons étaient capables de changer leur mode de nage pour s’adapter à l’absence par ailleurs d’augmentation de la fréquence des battements de queue (Wardle et Videler, 1980). Pour atteindre des vitesses de 35 m s-1, cependant, les voiliers devraient augmenter la longueur de leur foulée plus de quatre fois (LS nécessaire≈3,4 BL), ce qui semble une performance peu probable car on n’a que rarement observé des poissons nageurs dont la longueur de foulée dépasse 1 longueur de corps (Videler, 1993 ; Videler et Wardle, 1991 ; Wardle et Videler, 1980 ; Wardle et al., 1989). Par conséquent, à moins que les istiophoridés ne recourent à un autre mécanisme pour augmenter leur vitesse au-delà de celles prédites par les mesures de contraction musculaire, la possibilité qu’ils puissent nager à des vitesses supérieures à 10-15 m s-1 est peu probable. Comme l’ont montré Wardle et al. (1989), chez le thon rouge (Thunnus thynnus) le temps de contraction tend à augmenter vers la queue (voir aussi Fig. 1A). Cela implique qu’à des vitesses élevées, les muscles des côtés opposés vont progressivement chevaucher leurs contractions vers la queue, rigidifiant ainsi le corps. Des travaux antérieurs sur d’autres espèces ont suggéré que cela pourrait faciliter la transmission de la force du muscle antérieur (Altringham et al., 1993 ; Shadwick et Syme, 2008 ; Syme et Shadwick, 2002 ; Wardle et al., 1989).
Sur la base des vitesses absolues estimées, les voiliers semblent être les plus rapides des quatre espèces étudiées ici, cependant, ils étaient également 50-80 cm plus longs que les trois autres espèces et la vitesse maximale est connue pour augmenter avec la longueur du poisson (Wardle, 1975). En utilisant une relation longueur-vitesse basée sur les performances de nage en rafale de diverses espèces (Videler, 1993), nous avons constaté que les performances de vitesse corrigées en fonction de la taille sont les plus élevées chez le thon rouge et le barracuda, suivis de la dorade et du voilier (Fig. 2D). Cela concorde avec les observations selon lesquelles les voiliers ne comptent pas sur des vitesses de nage rapides pour attaquer leurs proies (c’est-à-dire les vitesses observées <10 m s-1), mais plutôt sur une approche furtive et des mouvements rapides du bec pour blesser et capturer les proies (Domenici et al., 2014). Bien que leurs vitesses maximales soient probablement plus lentes qu’on ne le pensait auparavant, tous les poissons prédateurs étudiés ici ont des vitesses de nage maximales absolues dépassant de loin celles de leurs proies. En utilisant la même relation longueur-vitesse de (U=0,4+7,4L) suggérée par Videler (1993), un poisson-proie de 25 cm serait capable de nager seulement 2,25 m s-1. Ainsi, l’espadon voilier, le thon rouge, la daurade et le barracuda peuvent nager jusqu’à 3,7, 2,8, 2,5 et 1,8 fois la vitesse maximale de leur proie, respectivement. Cela implique que, sur la base de la seule vitesse maximale de nage, ces prédateurs seraient capables d’attraper leurs proies.
La vitesse relativement élevée estimée pour les petits thons peut être en partie due à leur température musculaire plus élevée qui est connue pour diminuer le temps de contraction musculaire (Brill et Dizon, 1979 ; Wardle, 1975). Le petit thon a montré une performance similaire à celle du barracuda, bien que son écomorphologie soit très différente : le petit thon est un spécialiste de la croisière, comme les autres thons, alors que la forme du corps du barracuda et son mode de vie assis et en attente ressemblent à un autre spécialiste de l’accélération, le brochet (Esox lucius) (Webb, 1984). Ceci suggère qu’une température élevée chez le petit thon peut permettre à cette espèce d’atteindre une vitesse de sprint aussi élevée que celle d’un spécialiste de l’accélération comme le barracuda. Bien que la température musculaire élevée se trouve principalement dans le muscle rouge (Bernal et al., 2010), une légère élévation peut également être présente dans le muscle blanc du thon (Carey et Teal, 1966). On sait que les petits thons (40-60 cm) élèvent la température de leur muscle profond (rouge) d’environ 5°C (Block et al., 1993 ; Graham et Dickson, 2001), ce qui correspond à une élévation de 2°C dans le muscle blanc profond. Les daurades ont montré des performances relativement faibles, tant en vitesse absolue qu’en vitesse corrigée en fonction de la taille, ce qui suggère que les daurades comptent principalement sur une grande maniabilité (Webb et Keyes, 1981) pour attraper leurs proies. Il est important de noter que les évaluations présentées ici ne portent que sur les températures déclarées des poissons. Si nous supposons que les voiliers peuvent être trouvés à 36°C, alors une vitesse de nage maximale de 16,6 m s-1 est possible. Cette vitesse est encore beaucoup plus faible que les premières estimations, et dans les limites théoriques fixées par Iosilevskii et Weihs (2008).
Intéressant, aucune des espèces étudiées ici n’a montré des vitesses estimées supérieures à 10 m s-1. Cela reste inférieur à la limite supérieure suggérée pour tous les nageurs aquatiques (Iosilevskii et Weihs, 2008). Les valeurs de Iosilevskii et Weihs (2008) sont basées sur un modèle et de telles valeurs doivent être considérées en tenant compte des limitations et des hypothèses du modèle. Iosilevskii et Weihs (2008) suggèrent que la cavitation destructive est une contrainte probable sur les vitesses de nage maximales des grands poissons, en particulier à faible profondeur. Du point de vue d’une conception sûre, si un poisson dépasse à un moment donné ses limites spécifiques de cavitation, il encourt un coût d’entretien accru (Karasov, 1986) pour réparer les tissus endommagés. Ces coûts de maintenance supplémentaires suite à une vitesse de nage excessive dépasseraient probablement l’énergie gagnée par les proies capturées suite à l’éclatement. D’un point de vue évolutif, il est tentant de suggérer que les poissons n’ont peut-être pas évolué vers un système musculaire capable de temps de contraction minimum tel qu’ils seraient capables de nager à des vitesses dépassant 10-15 m s-1 (selon la taille du poisson), étant donné que cela entraînerait des dommages coûteux aux nageoires.